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L'Oribus &
Histoire et société en Mayenne

L’abbaye du Port-du-Salut, 1892-1939. Tome 1, Face au siècle. L’Oribus numéro 118, janvier 2024

Au sommaire,

I – LES MENACES DE LA POLITIQUE « LA PERSÉCUTION »

II – LES DIFFICULTÉS DU « TEMPOREL »

III – DES RÉUSSITES INDUSTRIELLES

IV – LES SOUCIS DU SPIRITUEL

Au lecteur

Cette évocation de la vie quotidienne à l’abbaye du Port-du-Salut est circonscrite entre le chapitre historique de 1892, qui fut celui de l’Union de trois congrégations « trappistes », et la déclaration de guerre de 1939. Elle inclut trois abbatiats : partiellement celui de Dom Eugène Bachelet, sixième abbé (1881-1908) ; totalement, la gouvernance de Dom Berchmans Daveau (1908-1929) et pour quelques années, celle de Dom Edmond Neveu (1929-1954). L’étude exclut la période exceptionnelle de 1914-1918 qui mériterait des développements particuliers ; entre autres, pour la richesse des correspondances de guerre des moines mobilisés.

Le récit s’appuie essentiellement sur la « chronique » de l’Abbaye. Les textes attribuent aux secrétaires des maisons de l’Ordre cette mission : « Il est à désirer qu’on garde par écrit dans chaque monastère le souvenir des principaux événements qui surviennent dans la maison ». Cette chronique a été malheureusement interrompue de 1884 à 1921. C’est un Père Léon Lesoudier qui reprend la plume en 1922 et ce, jusqu’en 1928. Par la suite, un moine de l’après-guerre, Jérôme Peschel, reconstitue le fil de la chronique pour les années où elle n’a plus été tenue au jour le jour.

La chronique est complétée avec intérêt par les « Échos d’Illens ». Il s’agit d’un petit journal manuscrit, rédigé par ce Père Léon, qui permettait un échange de nouvelles avec ceux des moines de Port-du-Salut détachés dans ce « refuge » de Suisse, acquis par précaution au temps des orages politiques des lois sur les congrégations. Source intéressante car la plume du rédacteur y est libre, même si on peut penser que l’œil paternel de l’Abbé s’exerce toujours, aussi bien d’ailleurs sur la chronique que sur tout écrit du monastère (des ratures caviardant certains passages le suggèrent mais peut-être est-ce aussi de l’auto-censure ?).

Enfin l’étude s’appuie sur les textes fondamentaux cisterciens de l’époque, imprimés et diffusés, parfois annotés en marge par son détenteur, constituant et développant la « Sainte Règle » de Saint Benoît : la Charte de Charité du 12e siècle, les Constitutions de l’Ordre et surtout les Us, « recueil de règlements qui indiquent la manière dont on doit se comporter dans les divers exercices et dans toutes les circonstances de la journée » (manuel des convers de 1927). C’est la découverte de ces Us étonnants qui a suscité l’intérêt d’une recherche sur leur pratique quotidienne. Avec l’impression parfois d’un voyage dans le temps médiéval, ne serait-ce que dans les vocables employés : « l’hémine » qui mesure la boisson ; « la griève coulpe » que l’on est invité à battre au chapitre ; le « frustulum » qui désigne un repas léger ; « l’absconse », « lanterne sourde » qui éclaire la marche nocturne dans les cloîtres pour l’Extrême-onction au mourant… Il serait pertinent de continuer l’évocation jusqu’aux bouleversements du Concile de Vatican II.


Dom Marie Gérard Dubois, dans ses souvenirs, raconte qu’il fallut attendre 1969 pour que soit supprimée la règle du coucher tout habillé, ce qu’il confie avoir été la plus pénible des disciplines au temps de son noviciat.


Le récit veut évoquer divers aspects d’une vie quotidienne. Il ne prétend pas à une étude de la spiritualité monastique cistercienne, considérée comme « une vie intérieure du chrétien, au-delà du dogme et de la liturgie », laquelle a eu en son temps des auteurs mystiques éminents comme Dom Vital Lehodey, Abbé de Bricquebec, qui écrivit des livres de large diffusion. Mais aussi des intellectuels comme Dom Chautard, Dom Malet, Dom Le Bail. Ceux-ci engagèrent une réflexion sur la nécessaire distinction entre l’essentiel de la vie cistercienne qui est l’union intime de l’âme avec Dieu et les observances, qui n’en sont que les simples moyens. C’est sans doute par Dom Edmond Neveu, natif de Laval, abbé du Port-du-Salut de 1929 à 1954, qui a laissé par ses nombreux écrits le témoignage d’une haute stature intellectuelle, que la spiritualité cistercienne pourrait être abordée. Encore était-elle très différente de celle du début du vingtième siècle. Toutefois l’étude des retraites spirituelles annuelles, à thèmes souvent eschatologiques, permet une évocation partielle de ce qui faisait autrefois le fond de notre « éducation religieuse » : la peur de l’Enfer, l’éternité bienheureuse… Le lecteur est donc invité à se transporter dans une époque ante-conciliaire, avec indulgence pour ceux qui vivaient cette vocation monastique au quotidien et « usque ad mortem ».

Dominique DELAUNAY